La découverte du séquoia à feuilles d'if (sequoia sempervirens), une histoire à répétition...


Avant l'arrivée des Européens, une douzaine de tribus indiennes (yurok, yukis, shasta, etc.) habitaient l'aire de répartition du séquoia sempervirens, à savoir une bande côtière s'étirant de l'Oregon à la baie de Monterrey en Californie.

La "Lost Coast" : habitat naturel du séquoia sempervirens Aire de répartition du séquoia sempervirens
Le séquoia sempervirens ("Coast Redwood" en anglais) vit le long de la Côte Pacifique en Californie du Nord.
Quelques parcelles subsitent aussi en Oregon.

Ces tribus ne vivaient pas dans les forêts de séquoias, mais à leur pourtour. Les Indiens de la région utilisaient le bois de séquoia sempervirens tant pour leurs maisons que pour leur bateaux (canoés creusés dans les troncs). Dans la majorité des cas, ils utilisaient des arbres tombés naturellement car l'abattage du séquoia n'est pas une mince affaire. La technique utilisée pour abattre l'arbre consistait à en brûler la base et achever le travail à l'aide de pointe de bois d'élan. Ces tribus tiraient leurs ressources principales de l'océan ou des nombreuses rivières de la région.

Maison Yurok construite en bois de séquoia
Maison Yurok, construite en bois de séquoia


Les premiers Européens qui rencontrèrent des séquoias furent, peut-être le corsaire Francis Drake et son équipage qui séjournèrent au nord de San Francisco vers 1579, et surtout les expéditions espagnoles qui explorèrent les côtes californiennes aux XVIIème et XVIIIème siècles.

Le premier contact certain1 date de 1602-1603, lors du voyage de Sebastián Vizcaíno qui explora méthodiquement les côtes de Californie, découvrit le port de Monterrey, et atteignit le 42ème parallèle2. L'expédition Vizcaíno séjournait régulièrement à terre, et rassembla quantité d'informations qui servirent à la colonisation espagnole bien des années plus tard. Le journal de bord du prêtre Antonio de la Ascención mentionne la présence de "pins de très grande taille dont le bois pourrait être utile à la réparation des navires". Ses propos relèvent cependant plus de l'anecdote que de la description scientifique.


Cape Sebastian en Oregon: point le plus septentrional atteint par l'expédition Vizcaíno en 1603

Cape Sebastian, Oregon

Une longue interruption suit curieusement le passage de Vizcaíno. Les navires espagnols longent les côtes mais ne s'y attardent guère. Il n'y a pas d'exploration ni d'exploitation terrestre. Il faut attendre 1769 et l'expédition de Gaspar de Portolá pour trouver trace d'une nouvelle rencontre. Le groupe de Portolá découvre une forêt de séquoias près du lac Pinto dans les environs de la baie de Santa Cruz. Le franciscain Joan Crespi, chroniqueur de l'expédition en fait la description suivante:
"La zone est densément boisée de très hauts arbres de couleur rouge, que nous ne connaissons pas. Ils ont un feuillage très différent du cèdre bien que le bois en ait un peu la couleur, mais il est différent et n'a pas la même odeur. Ce bois est très fragile. Ces arbres sont très nombreux dans la région et comme personne dans l'expédition ne les a reconnus nous les appelons palo colorado".

Un des "State Parks"protégeant les redwoods porte le nom de l'explorateur Portolá © David Baselt
Portolá Redwoods State Park © David Baselt, auteur d'un
superbe site sur les randonnées au pays des redwoods: Redwood Hikes

Poursuivant vers le nord, l'expédition finira par découvrir la baie de San Francisco. En chemin Portolá établit son campement au pied d'un immense séquoia, servant de repère à ses hommes. L'arbre est baptisé "Palo Alto". Le lieu est à l'origine de la ville du même nom, siège de l'université de Stanford. La présence d'un séquoia sur le logo de l'université rappelle cet épisode.

El Palo Alto, Université de Stanford
El Palo Alto (logo de l'Université de Stanford)

Quelques années plus tard (1776), ce sont deux autres grands séquoias qui servent de repères aux navigateurs espagnols en route pour la Baie de San Francisco. Cartographiés par Juan Baptista de Anza, ils permirent à ses successeurs de trouver la route de ce qui est aujourd'hui le "Golden Gate" de longues années durant.

Les Espagnols firent peu d'usage du bois de séquoia. Si les notes mentionnent de temps à au autre l'intérêt du bois pour la construction navale, il faut se rappeler que les Espagnols n'ont pas la "culture du bois". L'adobe est le matériau de référence en construction, et le bois n'est utilisé que pour certains éléments: poutres, portes, encadrement des fenêtres. De plus, les outils dont disposent les Espagnols ne sont pas adaptés à l'exploitation forestière, les scies sont rudimentaires.

De manière générale, les Espagnols marqueront un respect pour les espaces naturels qu'ils découvrent3. On a même pu relever une certain souci "écologiste" dans les décisions de l'administration espagnole de Californie, interdisant les feux de débroussaillage afin qu'ils ne brûlent pas les forêts des alentours. Malheureusement pour nos séquoias, leurs successeurs ne feront pas preuve d'autant de scrupules.

Signe des temps, à la fin du XVIIIème siècle ce ne sont plus les seuls moines chroniqueurs qui nous transmettent les découvertes. Des scientifiques, et parmi eux des botanistes, accompagnent désormais les expéditions, espagnoles comme celle de Malaspina en 1791, ou britanniques comme celle de Vancouver en 1795. Ces deux expéditions sillonèrent la côte Pacifique de l'Amérique du Nord, recherchant notamment le fameux "Passage du Nord-Ouest".

Navire espagnol du XVIII ème siècle
Navire espagnol en route pour la Baie de San Francisco
Océan, brouillard et séquoias: "the Lost Coast"
Océan, brouillard et séquoias: "The Lost Coast"

La première observation scientifique de l'arbre nous a été fournie par le botaniste tchèque Tadeas Haenke qui faisait partie de l'expédition Malaspina de 1791. Haenke le baptisa cyprès rouge. Haenke et ses collègues collectèrent de nombreuses graines et autres traces de leurs trouvailles botaniques. Une partie de ces collections fût ramenée en Espagne à partir de 17914. Ces graines pourraient être à l'origine des plus vieux séquoias sempervirens européens. Je poursuis actuellement des recherches qui permettraient de confirmer ou d'infirmer cette hypothèse. A ce jour, je n'ai pas encore pu trouver de preuves formelles, mais il n'est pas exclu de penser que des redwoods aient pu être plantés en Espagne dès les années 1800-1820... Une énigme à résoudre, car certains textes permettent le doute.

Exemplaire âgé de séquoia sempervirens au Campo del Moro à Madrid © Marc Meyer, septembre 2007
Campo del Moro, Madrid: les plus vieux séquoias sempervirens européens
pourraient être espagnols, mais cela reste à prouver.

Quoiqu'il en soit, Haenke n'entrera pas officiellement dans l'histoire comme le premier découvreur du séquoia sempervirens. Ce titre reviendra à Menzies. En effet Haenke ne rentrera jamais en Europe. Il continuera ses explorations botaniques en Amérique du Sud et meurt en Bolivie en 1817. L'écossais Archibald Menzies était le botaniste de la deuxième expédition (1791-1795) de George Vancouver. C'est lui qui ramènera les premières données botaniques sur le séquoia à Londres, sans toutefois lui attribuer un nom précis. La saga des noms attribués aux séquoias est à l'origine de bien des confusions entre les deux espèces californiennes de la famille. Elle nécessite une explication complémentaire que vous retrouverez bientôt sur ce site.

Ironie de l'histoire, les premiers à exploiter les forêts de séquoias sempervirens ne sont pas les Américains… mais les Russes! Il faut se rappeler que les Russes possèdent à l'époque de nombreux comptoirs le long de la Côte de l'Alaska et du Canada (commerce de fourrures et de pêche). En 1812 ils établissent une colonie à Fort Ross en Californie du Nord. Contrairement aux Espagnols, les Russes ont la culture du bois. Leurs constructions reposent entièrement sur le bois et ils sont outillés en conséquence. C'est donc autour de Fort Ross que les premiers abattages auront lieu. On peut encore en voir les traces de nos jours (souches) autour du "Fort Ross State Historic Park" qui abrite les vestiges de la Colonie. Les Russes quitteront définitivement la Californie en 1842.

Colonie russe de Fort-Ross
La colonie russe de Fort-Ross, construite en bois de séquoia sempervirens.

Le trappeur Jedediah Smith est le premier américain à sillonner la région côtière de Californie du Nord à partir de 1826. Il précède de quelques années des milliers d'immigrants, attirés par l'or découvert dans la région en 1851. La prospection et tout ce qui l'entoure (construction de villes champignon, chemin de fer, etc.) va provoquer l'abattage massif des séquoias. La ville fantôme de Shasta témoigne encore de cette époque. En quelques années des milliers d'hectares de forêts disparaissent.

Les premiers cris d'alarme se font entendre dès les années 1910 avec l'apparition des pionniers de l'écologie, parmi eux la Save-the-Redwoods League créée en 1918. Leurs efforts aboutiront à partir de 1921 à la création de quatre parcs de protection5. Ces parcs seront reconnus "parc d'état" par la Californie en 1927 (State parks). Il faudra cependant attendre 1968 pour voir la création d'un parc national (Redwood National Park) dans la région: une éternité!

Plus récemment, c'est par l'image que les forêts cathédrales de séquoias feront le tour du monde. Steven Spielberg y tourne quelques passages d'E.T. en 1982. L'année suivante, George Lucas lui succède de façon spectaculaire pour les scènes de la lune d'Endor, terre des Ewoks, dans l'épisode VI de Star Wars :"Le Retour du Jedi". Quinze ans plus tard, les forêts géantes accueillent à nouveau Spielberg et les protagonistes de Jurassic Park II : "Le monde perdu". Ce dernier titre relève hélas plus de la réalité que de la fiction...

La superficie des forêts de séquoias sempervirens étaient de 810.000 hectares en 1850. Il n'en reste aujourd'hui que 34.000 ha soit 4% de l'habitat d'origine.



NOTES

1 A l'époque, le séquoia sempervirens est l'arbre dominant tout au long de la région côtière explorée par Vizcaíno, son seul concurrent étant le Douglas (pseudotsuga menziesii). On pouvait difficilement l'éviter! Parmi les autres espèces présentes dans la région, citons l'épicéa de Sitka (picea sitchensis) et la pruche de l'ouest (tsuga heterophylla) dans la moitié nord de l'aire de répartition du séquoia. Le sapin géant (abies grandis) est signalé occasionnellement.

2 Le 42ème parallèle marque la frontière rectiligne entre la Californie et l'Oregon, au coeur du pays des "redwoods".

3 Cette conscience écologiste avant la lettre peut paraître curieuse. Elle est surtout d'origine religieuse: l'homme se devant de respecter l'univers et les créatures de Dieu.

4 Le matériel botanique collecté par Haenke fût rapatrié en Espagne en plusieurs phases : quinze malles en 1791, cinq malles en 1794, et plus de quarante malles en 1799. Une grande partie de ces collections ne fût jamais exploitée.

5 Les "State Parks" de Prairie Creek Redwoods, Del Norte Coast Redwoods et Jedediah Smith Redwoods, créés les premiers, furent suivis de peu par le Humboldt Redwoods State Park (le plus grand des quatre). Depuis lors, bien d'autres parcs furent établis par les états de Californie et d'Oregon. Le site "Redwood Hikes" vous donnera un bon aperçu de l'ensemble des parcs existants aujourd'hui.


Find tree care advice Texte et recherches © Marc Meyer, Bruxelles, septembre 2007.
 
 
www.sequoias.eu